Lettre d’un jeune policier à Monsieur le Directeur Général de la PNH

Lettre d’un jeune policier à Monsieur le Directeur Général de la PNH

 

Monsieur le Directeur Général,

Je ne pensais jamais devoir vous écrire dans de telles circonstances, mais il me reste si peu de temps, et je ressens un besoin profond de partager ce que je porte sur le cœur avant que tout ne s’éteigne. J’ai toujours rêvé de servir cette institution, la Police Nationale d’Haïti, avec honneur et dévouement. C’était plus qu’un simple travail pour moi, c’était un appel, une mission de vie. Mais aujourd’hui, cette mission m’a conduit vers une fin que je n’aurais jamais imaginée.

 

En ces derniers moments, je me souviens de ce que l’on disait de vous, qu’à vos débuts, vous étiez comme moi, jeune, plein d’espoir et de détermination. Vous aussi, vous aviez choisi de protéger et de servir, malgré tous les dangers. Mais maintenant que vous êtes à la tête de cette institution, je ne peux m’empêcher de me demander : qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi cette distance, ce mépris pour ceux qui, comme vous jadis, se battent chaque jour sans les moyens nécessaires ?

 

Si, à l’époque, votre propre directeur général vous avait envoyé sur le terrain sans protection, sans armes suffisantes, seriez-vous encore parmi nous aujourd’hui ? Peut-être seriez-vous déjà sous terre, comme tant de mes frères d’armes qui, jour après jour, tombent parce que vous les avez laissés sans défense. Je me demande si vous ressentez cette douleur, cette solitude que nous vivons, nous, simples agents abandonnés à la mort.

 

Nous sommes traités comme des pions, sacrifiés pour un combat que nous ne pouvons pas gagner. Pourquoi ? Pourquoi les agents non gradés sont-ils devenus des cibles pour vous ? Pourquoi nous envoyer affronter des gangs surarmés, alors que nous manquons de tout ? Dans les provinces, nous n’avons même pas les outils de base pour assurer la sécurité publique. Chaque jour, je vois des hommes mourir parce qu’ils n’ont pas ce qu’il leur faut pour se défendre. La capitale reçoit tout, tandis que nous, ici, dans les zones oubliées, nous sommes abandonnés à notre sort.

 

Aujourd’hui, vous m’avez envoyé à la mort. Seul, face à une dizaine de *Kokorat* armés jusqu’aux dents, je n’ai pour toute défense qu’un fusil et cinq cartouches. J’ai déjà vidé mon chargeur de 20 balles. Vingt cinq balles pour une mission qui en aurait nécessité quatre cents. Et maintenant, il ne me reste plus rien, à part ces cinq dernières balles. Ils en ont tant, eux, les *Kokorat*, et moi, je suis là, à compter les munitions qui me restent pour finir dignement.

 

Il me reste juste de quoi faire cesser cette souffrance. Une seule balle pour moi. Le silence après le vacarme. Je me demande si, là où vous êtes, dans votre bureau à Port-au-Prince, vous ressentez quelque chose pour nous, ceux que vous laissez mourir. J’espère, d’une manière ou d’une autre, que cela pèse sur votre conscience, que vous réalisiez à quel point vous nous avez abandonnés.

 

Je m’en vais, commandant. Que mon sacrifice soit pour vous un rappel du prix que paient vos hommes, oubliés et délaissés.

Adieu.

Un agent en fin de parcours

En mémoire de nos policiers tombés sous le feu des gangs armés dans l’Artibonite.

 

Beken Petit-Homme

21 Septembre 2024

Président du Festival International Vodou

Coordonnateur de la Maison Culturelle

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